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Nona la sent. Nona la sent fortement, tout près. Cette odeur si délicieuse et si appétissante. Nona la connaissait cette odeur. C'est ce qu'elle se dit. Elle l'envahit de tout son être, elle la sent envahir tout son corps par ses narines dilatées et par sa bouche. Après son corps, c'est son esprit qu'elle envahit. Cette odeur était bien trop délicieuse pour exister. Nona se laisse douter un peu.
C'était vrai. Nona se met debout, elle lève la tête en l'air et ferme les yeux. Elle se concentre. Cette odeur qui la fait saliver ... Elle venait d'un immeuble. Tout près.
Nona s'avance, elle tourne la tête à gauche et à droite, elle regarde de temps en temps par terre pour vérifier où elle marche, même si elle n'y prête pas tellement attention. L'odeur qui attisait sa faim l’obnubile.
Et puis elle le trouva enfin. Ce gamin aux courts cheveux bruns. Nona rêve de pouvoir lui sauter dessus, là, tout de suite, mais le nombre de personnes présentes dans la rue l'en empêche. Non, pas tout de suite. Nona doit d'abord l'attirer.
Elle lève la tête pour le regarder, elle ne peut s'empêcher de sourire en pensant à ce qu'il se passera. Elle l'approcherai, lui parlerai, et puis elle l'amènerai dehors, de lui-même, pour enfin le dévorer.
Elle s'éclaircit la voix plusieurs fois avant de lancer d'une voix encore un peu enrouée :
« Excuse-moi ! Comment est-ce que tu t'appelles ? »
Il détourne son regard de l'horizon et regarde Nona. Elle ne sait pas comment réagir. Il la regarde en silence, elle esquisse un petit sourire forcé. Elle se sent rougir.
« Hm ... C'est que, tu vois, je pensais que ... Ah mais ! Moi c'est Nona ! J'allais oublier ! »
Nona rit de manière gênée. Elle l'est totalement, elle se gratte la joue. Elle connait ses objectifs, mais le moyen dont elle allait les atteindre, c'était une autre chose. Elle baisse la tête. Elle n'ose pas le regarder.
« Moi c'est Timothé ! »
Nona lève la tête, l'air surpris. Il lui sourit, les joues rosées. Elle entre-ouvre la bouche et elle sourit. Elle a des étoiles dans les yeux.
Timothé. Timothé. T i m o t h é. Son nom glisse sur sa langue comme son corps allait glisser entre ses dents pour qu'elle le broie en petits morceaux.
« Timothé, c'est beau comme prénom ! ... »
Réfléchis Nona. Quelque chose qui pourrait attirer son attention et sa sympathie. Quelque chose de doux mais de dur. Dire qu'elle est sans-abri ? Non, ça serait trop brutal. Pas tout de suite. Bonjour, je suis SDF ! Non. Le gamin se demande sûrement pourquoi Nona vient soudainement lui parler. Quelque chose. Une attirance particulière. Ne pas lui dire son odeur, c'est trop étrange. Nona, réfléchis, bon sang. Réfléchis ou il filera et ne réapparaîtra peut-être pas. Réfléchis réfléchis réfléchis ... Il a l'air jeune, frêle, peut-être pas sorti de l'adolescence, voire même, pas encore entrer ! Réfléchis réfléchis. Nona sert les poings, elle se mord la lèvre inférieure.
Une famille.
Une attirance.
Un frère.
Un sujet.
Quelque chose de crédible.
Une disparition.
Plus rien.
Sa disparition ....
Nona étend son sourire. Elle a trouvé. Elle a trouvé elle a trouvé elle a trouvé elle a trouvé elle a trouvé elle a trouvé elle a trouvé. Timothé.
Son Timothé. Ca ira. Ca se passera bien. Nona sait ce qu'elle veut faire.
Elle prend un air triste. Elle fait comme si elle perd son sourire, mais se force quand même de le garder pour le regard. Ses courts cheveux bleus lui tombent sur le visage.
« Ah, je suis désolée si je t'embête ... C'est juste que ... »
Nona baisse la tête. Elle fait mine d'essuyer des larmes. Elle se force à avoir les yeux qui pleurent. Ca prend un moment. Elle se met à trembloter. Elle repense à papa, à maman, à sa vie dans la rue. Ca y est, ça commence. Sa gorge se serre, les larmes viennent vraiment.
« Un, pardon, je ... »
Nona sait que Timothé la regarde. Il ne sait pas quoi faire. Sous ses cheveux, elle sourit. Elle espère qu'il réagisse vite avant que son cinéma ne se termine plus tôt.
« Mais qu'est-ce que t'as ? Nova ! Euh ... Nona, p-pleure pas, attend ! Pleure pas comme ça s'teuplaît ! Attend hein ! Attend, j'arrive ! »
Il disparaît de sa fenêtre. Nona garde la tête baissée, elle pense aussi longtemps qu'elle peut à papa et à maman, à sa vie d'avant. C'est la première fois qu'elle fait ça intentionnellement, et elle se sent comme ... humaine. Humaine pour la première fois. Nona se sent bête. Elle se rend compte que c'est la première fois que depuis papa et maman, on lui prête de l'attention. Elle se met à pleurer pour de vrai sans s'en rendre compte. Elle entend les bruits de pas de Tim derrière la porte de l'immeuble et elle le voit apparaître, essoufflé, quand elle relève la tête. Elle le dévore des yeux. Petit, un peu joufflu, pas encore tous ses muscles.
C'est parfait.
Tim s'approche d'elle, Nona recule d'un pas. Il s'arrête, elle se replie sur elle-même et fait un signe d'excuse. Il s'approche d'elle, Nona sent les battements de son coeur s'accélérer.
Approche, approche encore plus, encore plus, comme ça ...Tim lui pose la main sur l'épaule et reste comme ça quelques minutes. Nona tremble. Elle ne sait plus comment réagir de nouveau. C'était nouveau, encore tout nouveau ce genre de comportement, elle redécouvrait. Papa, maman. Elle tremble fortement. Tim finit par mettre son autre main sur l'autre épaule de Nona et l'enlace. Nona a la machoire qui tremble. Elle finit par se laisser aller et se décontracte, elle laisse sa tête sur la petite épaule de Tim. Il reste comme ça pendant quelques minutes. Nona se soulage. Elle finit par reculer, essuyer ses larmes. Elle sourit de toutes ses dents. Tout se joue maintenant.
« Pardon, je me suis laissée aller ! C'est que tu ressembles tellement à mon ancien petit frère, c'est fou ! J'ai cru qu'il était revenu parmi nous, et je me suis emportée. Pardon Timothé. Tu me pardonnes ? »
Tim lui dit que oui, Nona l'embrasse sur la joue, même si les siennes sont un peu sales, et elle le câline de manière enfantine. Elle prend plaisir à retrouver toutes ces sensations. Elle le relâche, et puis elle lui demande s'ils peuvent marcher, comme ça. Il lui répond affirmatif, elle engage la marche de manière enjouée. Elle sourit tendrement, joyeusement et fièrement. Soudainement, elle se sent heureuse rien que par la présence de Tim à côté d'elle. Elle ne le connait pas, mais rien que son geste d'affection plus tôt a suffit à la bouleverser. Ils marchent, ne se disent rien. Ils regardent les autres. Puis Tim engage une conversation :
« Dis No- .. ?
- Nona.
- Oui, Nona, pardon ! Dis Nona, pourquoi ton frère est pas là ? »
Nona a l'air surprise. Elle ne s'attendait pas à ce genre de questions. Elle réfléchit vite fait et répond d'une manière simple, avec un air un peu attristé.
« Il est parti loin de Nona. Comme papa et maman.
- Pourquoi ça ?
- Je sais pas. Je ... Ils se sont fait ... »
Nona serre les poings. Tim le voit bien.
« Ils ont eu un accident ! C'est tout bête, c'est courant, mais bon, on y peut rien Tim ! Et toi alors ? Tu as de la famille ? Des parents ? Des frères, des soeurs ?
- J'ai une grande soeur. C'est drôle, elle s'appelle presque comme toi !
- Ah bon ? Et elle s'appelle comment ?
- Nova !
- No-va ? Nova. Nova~ c'est beau ! Ca fait comme les étoiles !
- Ouiiiii ! C'est comme les étoiles, comme dans la série que je regarde ! C'est beau, hein pas vrai ?
- Oui, c'est vrai, mais je préfère Tim ! »
Tim rougit. Nona le complimente encore et encore, Tim répond par oui, non, peut-être, n'importe quoi, dis pas ça, ou alors il ne répond pas et sourit, rougit. Nona le regarde avec toute la tendresse qu'il lui restait dans le coeur. Tout l'amour qu'elle aurait dû donner à sa propre famille. Tim donne une impression de calme et de tranquillité. Nona se sent à l'aise à ses côtés. Bien qu'elle ne l'ait rencontré que quelques minutes auparavant, elle a l'impression qu'elle le connait depuis toujours. Et elle aime ça. Ils discutent de tout et de rien.
Tim n'a plus de parents. Ils sont morts dans le feu, qu'il a dit. Tim a pleuré, beaucoup pleuré, mais pas Nova. Nova est restée avec Tim et n'a pas pleuré. Nona se sentait attristée. Elle a pitié de Nova. La pauvre. Elle a dû tout prendre pour elle juste pour Tim. Tim est un gentil. Tim est adorable. Tim est un petit gamin dont il faut prendre soin. Il est incapable de s'en sortir seul. C'est pour ça qu'il faut s'en débarrasser le plus vite possible. Nona a faim, de plus en plus faim au fur et à mesure qu'elle en apprend plus sur le brun.
Un petit chat noir passe devant eux. Tim l'aperçoit brièvement, mais Nona voit qu'il le veut. Nona se met à courir après le chat. Il miaule. Elle miaule. Tim rit, il la suit. Ils arrivent dans une ruelle, Tim continue de le poursuivre un peu plus loin. Nona s'arrête. Son ombre domine la rue.
C'est le moment.
Elle glousse. Elle va enfin manger. Enfin. Enfin. Manger. Son estomac se tord de plus en plus, tous les deux s'impatientent. Nona se lèche les lèvres. Elle s'approche de Tim et prend le couvercle d'une poubelle. Elle se rapproche de plus en plus. Tim est trop occupé à miauler après le chat pour qu'il vienne auprès de lui. Quand l'animal le fait, Nona frappe violemment Tim avec le couvercle. Il s'écroule, le chat s'échappe.
C'est ça, va-t-en.
Nona retourne Tim facilement, et elle regarde son visage de plus près. Les yeux fermés, la bouche ouverte par la surprise. Nona laisse ses doigts glisser sur ses petites joues rosées. Elle s'amuse à appuyer dessus. Elles sont moelleuses et encore chaudes. Nona en salive. Elle se presse de le traîner un peu plus profondément dans la rue. Elle se met à rire quand elle le lâche finalement. Elle rit de plus en plus fortement, de plus en plus follement. Elle devenait hystérique.
Une fois sa pièce terminée, elle s'assied près du corps de Tim, qui s'est légèrement refroidi. Nona se penche sur lui. Des ombres sortent du dos de la jeune fille et enveloppe Tim. Quelques minutes plus tard, il en ressort, qui a pâlit. Nona le mord brusquement et violemment. De ses dents, elle arrache un petit morceau de peau pour une avant-première. Le goût de cette peau tendre et douce, avec ce petit goût de nostalgie, excite les papilles de la cannibale. Elle se retient de lui sauter dessus, de le dévorer tout entier en laissant des traces entières. Elle prend son temps pour savourer sa chair d'enfant, puis recommence à reprendre une bouchée.
Pendant cette dégustation, Nona regarde de nouveau Tim. Il a l'air de dormir si profondément et si paisiblement. Nona en avait mal au coeur de voir un enfant aussi innocent vivre dans un monde aussi pourri que celui des humains.
Nona préfère s'attaquer à la peau plus près de l'air que des os, trop dure à retirer pour le moment alors que son corps est à moitié en train de mourir. Les ombres l'avaient étouffés. Il est mort. Rapidement, c'est tout ce que peut faire la jeune fille pour lui. Nona, malgré le court temps passé avec lui, aimait bien Tim. C'était un adorable garçon. C'est pourquoi elle lui évite de souffrir plus qu'il n'a déjà souffert.
Nona recrache un peu de sang, en trop grande quantité sur son palais. Elle mâche, fait tourner dans sa bouche, mâche, remâche, avale et recommence. elle ne se retient plus. La faim est beaucoup trop forte. Elle fait tomber sa cape et dévoile son dos nu.
Jamais elle n'aurait imaginé manger quelque chose d'aussi bon. C'en est presque jouissif dans son esprit. Goûter une chair aussi tendre, un vrai plaisir. Tout s'emmêle dans la tête de Nona, elle ne pense plus à rien et fait comme elle le veut. Elle fait tomber des morceaux de cartilages des doigts de Tim, elle ne fait pas attention. Elle laisse ses ombres les dévorer. Elle ne se délaisse pas du bruit que provoque les ombres en brisant les os et en absorbant la peau restée dessus. Nona sent une chaleur dans son estomac. Le plaisir de manger.
C'est alors qu'elle sentit quelqu'un derrière elle. Nona se retourne. Elle écarquille les yeux. Devant elle, une femme. Elle ne comprend pas, ne réalise pas. C'est alors que si.
« Non, non ... C'est pas moi ! »
Nona ne doit pas mourir tout de suite. Pas en pleine dégustation. Elle prend peur. Elle récupère sa cape, la met et se recule rapidement pour rester dans l'ombre. Ses fidèles ombres couvrent son visage. Elle regarde une dernière fois la femme puis s'en va en courant.
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It felt like ... hunger.