Il faisait chaud. T'en avais déjà marre. Marre qu'ils t'aient laissé la charge d'Aileen, marre de devoir te l'a traîner partout, marre que tu puisses pas aller avec lui. Dix ans et ça commençait déjà à se rebeller. T'as pas été une gamine facile, et c'est peut être cet accident qui t'as fais grandir prématurément.
Y'avait les cigales qui faisaient leur bruit de merde. T'aimes pas les cigales, c'était peut être même pas des cigales mais ça faisait du bruit et t'aimais pas. T'avais aucune envie d'aller dehors par cette chaleur, t'aimes pas le soleil, ça tape trop fort. T'avais pas non plus envie de regarder jouer une gamine de sept ans dans du sable, à rigoler pour que dalle avec son seau et sa pelle se disputer avec d'autres gamins dépourvue d'intelligence.

Aileen était petite. Elle avait les cheveux noirs, ils ressemblaient aux tiens mais en plus raide. Elle avait de grands yeux, en amandes, un peu comme les asiatiques. Elle était mignonne mais tu la détestais. Tu la saquais pas, et dès que tu le pouvais tu la critiquais, la cassais et tu te demandais toujours comment elle arrivait à garder le sourire avec toi, et à continuer de t'apprécier à sa manière d'enfant.
Aileen était la petite soeur de Aaron. Elle était la princesse à Aaron, peut être pour ça que tu la jalousais. Il lui cédait tout, il se comportait pas pareil avec elle, c'était une perle à ses yeux... Et toi, comme une conne t'as tout fichu en l'air.

Assise sur un banc, t'as attendu dix minutes avant de l'empoigner par le bras, la lever, épousseter sa salopette et lui dire qu'elle pouvait aller nager. Tu l'a accompagné jusqu'à la plage et l'a aidé à se mettre en maillot de bain. Tu as dis que tu reviendrais la chercher dans trente minutes et qu'elle pouvait profiter. " j'te surveille de loin. Amuses toi bien " .
Tu le regrettes à présent, tu regrettes de pas lui avoir dis que malgré tout tu supportais pas de la voir pleurer, pour les décibels mais aussi parce qu'elle était un petit ange rayonnant et qu'aujourd'hui t'aurais voulue l'avoir a tes côtés et pouvoir parler de trucs de filles.
T'as jamais été douce avec elle, heureusement finalement que t'étais pas sa soeur.
T'as pas de frères, ni de soeurs. C'est p'être mieux comme ça, car au final tu t'dis toujours qu'ils leur arrivera pas la même chose.

Tu l'as vu s'éloigner, courir dans l'eau, sauter, brailler de joie. T'as souris à ton tour, puis tu t'es retournée. " Ah. Débarassée ".  
Les trente minutes se sont changées en une heure, tu t'es pas posée de questions, t'étais au calme à l'ombre, une glace à la main. Tu t'es même endormie. T'as pas entendu la sirène, les gens qui s'aggloméraient autour d'un corps devenue pâle et froid et qui criaient d'horreur. Parce que les gens, ils sont comme ça, ils s'agitent pour un rien, c'est peut être eux qui l'ont achevé en lui coupant toute arrivée d'air. Tu disais ça, pour déculpabiliser un peu, pour dire que tu y étais pas totalement pour quelque chose. Qu'elle aurait très bien pu ne pas se noyer. T'as même cru qu'elle te faisait une blague pour se venger de toi, t'as prié que c'était juste une connerie et que dans la minute elle te sauterait sur le dos comme elle s'amusait à faire et que tu l'as repousserais...
Mais elle s'est jamais réveillée. Quand t'as vu les pompiers lui mettre un drap sur la tête et cherchaient la personne qui s'occupait d'elle, t'as voulu mourir aussi, comprenant le drame, comprenant que t'avais fais la plus grosse erreur de ta vie.

T'as encore plus culpabilisée quand la mère d'Aileen s'est approchée de toi, t'as pris par les épaules, t'as souris, larmes aux yeux et t'as dis de rentrer à la maison. Ca t'as blessé, elle pouvait même pas te gueulait dessus, te gifler parce que tu es la fille d'un O'Connor et que c'est grâce à eux qu'elle peut vivre comme elle le fait depuis l'accord passé entre vos parents.

Aaron revenait dans deux jours. Madame Maxwell t'avais interdit de le prévenir, elle le ferait en temps voulu. De toute façon, t'aurais jamais osé lui dire " Ah salut, toute à l'heure j'ai tué la personne que tu aimes le plus au monde. J'espère que tu m'en veux pas trop... J'l'ai juste tué c'pas trop grave non plus ! "

Quand il est rentré, t'as entendu sa mère le conviait à sa suite dans la cuisine. T'étais cachée sous ta couette, tu flippée tellement, tu tremblais de tout ton corps en pleurant à la fois. Tu réalisais pas encore que tu l'avais vraiment tué. Que tout ça c'était vrai.
Aaron n'a pas tout de suite compris lui non plus. Il a ris. Un rire nerveux, pas rassuré, un rire qui veut tout dire, un rire d'une personne qui sait déjà la vérité, la vérité que sa soeur ne sera plus jamais là.
Après tes sanglots sont devenus trop forts. T'as plus entendu. T'es restée enfermer dans ta chambre près de trois jours. Le matin du quatrième, t'es descendu discrètement pour prendre quelque chose à manger. T'avais pas faim. Alors t'as reposé mais t'as fais du bruit, parce que t'es quand même restée conne. Et il t'a vu. Il dormait sur le canapé. Il s'est levé...

Il s'accroche à tes bras. Comme si c'était pas assez. Comme si tu te sentais pas assez coupable. Il a pas compris que c'était pas une blague, il admet pas que tout est parti en fumée, qu'elle s'est genre évaporée. T'as les larmes qui remontent une nouvelle fois. T'as des cernes, tu fais peur un voir, comme un zombie, il a pas encore compris. Il a vraiment cru que ça t'amusais tout ça ou quoi ? Tu sens comme la colère te monter alors que ça devrait être lui le plus triste. Mais tu te sens tellement mal, t'as la tête qui tourne à moitié, t'as envie de crever six pieds sous terres plus jamais revoir leur faces. Parce que tu as tué leur fille et sa soeur.

Il te regarde, il cherche à comprendre mais t'arrive pas à lui répondre. Il voulait peut être entendre de ta propre bouche " Oui. C'est vrai. Elle est pas partie se cacher, elle est crevée, à cause de moi en plus "

Tu l'entends à moitié, avec sa voix qui tremble et tes oreilles qui font un bruit sourd comme un acouphène ça bip, ça devient insupportable mais tu t'interdis de lâcher devant lui. T'essaies de te dégager, sans rien dire, ton cerveau marche plus - court plus non plus -, il est bloqué sur l'image d'Aileen un drap sur la figure, tu voudrais pouvoir te cacher sous ta couette.

Et puis d'un coup, c'comme si tu te réveillais, t'as envie de gueuler, gueuler pour qu'il se la ferme, qu'il arrête que t'es aussi apeurée que lui, que t'as rien compris, que tu t'en veux, que c'est toi qui devras vivre avec la culpabilité d'un mort sur la conscience. Déjà à dix ans tu seras pas pareil.
Les larmes elles coulent, il a bien dû comprendre tu te dis. Tu t'attends à ce qu'il te pousse, une réaction. Mais il ne bouge pas. Non. Il bouge plus, et sur le coup t'as peur qu'il fasse un malaise ou une autre comme ça. Tu t'approches pour le serrer dans tes bras mais il te repousse. Tu déglutis. Recule. Un pas, un autre pas. Par ta fierté inexistante à ce moment tu t'empêches de prendre tes jambes à ton coup.

T'as mal au coeur. Tu pars dehors. C'est le matin, il fait déjà chaud. T'as l'impression de l'entendre crier et rire. T'as l'impression qu'au coin de la rue tu vas l'apercevoir. Alors qu'elle est juste plus là et t'es toujours bloquée sur tout ce que t'as fais et pas dis. Tu t'sens comme salis.

Le désarroi. Comme un trouble, une confusion. Quelque chose qui te saute à la gorge, qui sert, qui sert, qui forme un noeud, s'infiltre dans le corps, dans l'esprit, se tortille, plante des couteaux, tournes, enfonces, des coups à la tête et l'impression de ne plus pouvoir respirer, réfléchir, bouger. La détresse, le désordre, la jungle dans la tête avec des millions de petits coups, qui s'ajoutent, s'ajoutent et ça explose pas. Ca explose pas car c'est trop petit, ça grandit pas assez vite.

T'as bien entendu raisonner les mots qu'il a bien prononcé. Bien articuler, ça t'as planté un autre couteau dans le coeur. Les yeux grand ouvert, étendu sur la pelouse d'un parc qui pue la merde. Vous y alliez souvent. Elle aimait bien cet endroit. Vous y alliez tous les trois avant. Aileen jouait avec Aaron et tu les regardais, envieuse.
Le soleil te brûle la pupille, t'as tellement envie de disparaître. De disparaître comme elle l'a fait, vite.
T'arrives même pas à imaginer comment ça s'est passé. T'es une putain d'égoïste, Alice. Une putain d'égoïste qui se sent terriblement coupable.

Tu lèves une main vers le ciel et la laisse aussitôt tomber. Tu te fais mal. Le sol est dur. L'herbe est sec, ça pue encore plus. Ca te brouille la vue tout ça, t'as même plus de force pour te lever. T'as jamais pleurer autant à en avoir l'impression que ton crâne explosait, et que ton coeur te lâchait lui aussi.
Après tout, t'as vraiment souhaité qu'il te lâche. Et t'as pensé à un enterrement vide. Vide où y'aurait eu personne, ça t'as encore plus blessé que les mots dis par Aaron trente minutes plus tôt.
Tu vois, tu penses encore à toi. Tu réfléchis à ton enterrement alors que c'est Aileen qu'est morte. Aileen.

Tu arraches l'herbe. Tu te déteste tellement d'être comme ça. Tu te cognes la tête contre le sol dur mélangeant tes cheveux à la terre et tu pleures de plus belle. Tu t'sens tellement conne d'être là, d'être là à sa place. T'aurais pu la sauver si t'avais fais ce qu'on te demandait. Mais mademoiselle ce croit tout permis d'être une gosse de riche, ce croit tout permis parce qu'elle a un putain de caractère et même aujourd'hui, on lui pardonnera parce que sa famille et au dessus des autres.
" Quelle vie de merde "
T'aimes bien ce mot merde. Tu penses qu'il te correspond bien maintenant, depuis tout le temps en fait. T'es comme un chewing gum sous une godasse dégueulasse dont on veut se débarrasser mais qui reste, qui s'accroche, et même quand on le frotte, il part pas parce qu'il est trop borné. T'es comme ça. T'es trop conne, tu pourrais demander à ta mère de tout arrêter, qu'ils ont déjà assez d'argent, que t'as pas envie de te marier, mais ça a changer, tu te sens tellement redevable. T'oseras jamais retourner à la maison, ni chez toi, ni chez eux. Vivre avec ça sur la conscience et les regards que t'imagines déjà, ils pourront rien dire, pas te gueuler dessus.

Tu te tires les cheveux, tu cris sous les regards de pitié des gens aux alentours. Ils leur viendraient même pas à l'idée de venir te voir tellement tu es devenue hystérique. Une gamine folle.

A y réfléchir, tu préférais encore crever de jalousie quand elle était vivante.